
En prenant part récemment à la dernière campagne de sensibilisation sur la vaccination contre la poliomyélite sur les réseaux sociaux, j’ai fait l’expérience de découvrir que la manière avec laquelle les personnes perçoivent l’ONU a fortement changé en plusieurs années. La pandémie du Covid-19 et le buzz né d’une information selon laquelle un vaccin expérimental serait inoculé aux africains par l’OMS, ont remis en cause la perception du rôle et de l’impact de l’organisation dans la pensée populaire en Afrique en général. Ceci s’ajoutant à un doute persistant sur le rôle des NU de la gestion des conflits en Afrique.

Au Cameroun en particulier, la perception populaire du rôle de l’ONU a changé. Malgré ses efforts contribuant à résoudre pacifiquement la crise anglophone. Force est de constater que dans les chaumières et sur les réseaux sociaux, l’ONU n’est plus perçu comme le défenseur des droits des plus vulnérables. Cela se construit depuis des années par la propagation des fake news. Par exemple, en 2011, l’histoire des conteneurs d’armes de l’ONUCI saisis au Cameroun[1] a contribué à jeter du discrédit sur une institution vielle de 75 ans. Pourtant, depuis 75 ans cette organisation œuvre activement dans la résolution des conflits dans le monde tout en promouvant les droits de l’homme et la réduction de la pauvreté.
Si l’efficacité de l’ONU est remis en question dans la résolution de conflits en Afrique après tant d’années d’action dans le monde, c’est certainement à cause d’une crise de confiance grandissante. celle ci se caractérise par un sentiment de suspicion entretenu au sein de la population vis à vis de tout ce qui représente les institutions. Ce sentiment est renforcé par les discours anti-occidental qui se propage sur les réseaux sociaux . Pourtant aujourd’hui, face aux bouleversements des relations internationales, les peuples ont plus que besoin de croire à l’ONU. Ceux ci ont intérêt à l’accompagner dans ses missions. Surtout dans un contexte africain où la confiance accordée aux institutions publiques s’effrite au fil du temps. Cependant, pour que cela puisse être possible, il est nécessaire pour les Nations Unies d’opérer une restructuration significative. Cette dernière marquera la prise en compte des aspirations des peuples africains dans le concert des nations.
Bilan historique d’une relation fondée sur l’espoir et la confiance
Fraichement entré au secondaire, j’avais reçu en cadeau un petit livre bleu ciel intitulé : «La charte des Nations Unies ». Je lisais régulièrement ce petit bouquin sans souvent comprendre le sens de tous les mots. Je parvenais tout de même à être fasciné par les principes et les valeurs prônés. Les premières lignes de ce livre, qui par un judicieux arrangement des mots suscite en l’esprit espoir et optimisme:
« Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre […], à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, […] à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande… »[2]
https://www.un.org/fr/charter-united-nations/
ONU : Pour la libération des peuples colonisés
Comme moi, plusieurs africains ont été séduits par l’engagement des NU à œuvrer pour l’autodétermination et l’indépendance des peuples assujettis. En croire les témoignages des anciens, l’organisation était vu comme le puissant défenseur des faibles contre les colonisateurs. Fondée sur les principes d’égalité, de justice, d’harmonie et de progrès social, elle offrait une tribune où la voix des opprimés, mendiants de liberté pouvaient se faire entendre. C’est certainement pour cette raison que malgré les multiples tentatives de l’empêcher, Um Nyobé s’y est rendu 3 fois. En écoutant son discours devant la commission de tutelle le 17 décembre 1952, on peut ressentir cette confiance.
L’histoire retiendra que l’organisation réussira tant bien que mal à jouer un rôle significatif pour l’indépendance du Cameroun. Ainsi que de 80 anciennes colonies conformément à la résolution 1514 (XV) de 1960. Par la suite, il a fallu régler les conflits internes et interétatiques pour maintenir la paix et la sécurité internationale. C’est ainsi que depuis sa création, l’ONU a initié plus de 70 opérations de maintien de la paix dans le monde.
ONU : Pour la résolution pacifique des conflits
En 2002, je me rappelle que c’est avec faste et joie que la télévision nationale diffusait en boucle les émissions sur les NU. C’était sa façon de louer son rôle capital dans la résolution du conflit de Bakassi qui opposait le Cameroun au Nigeria. Résidant à Buea, je me souviens encore de la clameur des populations à l’annonce de la décision de la CIJ. D’ailleurs, mon prof d’Histoire/Géo n’avait pas manqué de nous rappeler que cette grande institution mondiale veillera toujours au respect de nos droits et libertés. Nous francophones et anglophones, avons la ferme conviction que la fille de la défunte SDN assurera toujours la préservation de nos spécificités identitaires.
Crise Anglophone et perception de l’implication de l’ONU
Quelques années plus tard, dans un contexte de crise sécuritaire au Nord, on verra commencer la crise anglophone en 2016. Elle commença par une répression violente des manifestations d’enseignants et d’avocats anglophones. 4 ans après, on estime à plus de 3000 personnes tuées et 700 000 déplacés. L’OCHA évalue à plus de 2,3 millions de personnes des régions anglophones ayant besoin urgemment d’aide et de protection.[3] Depuis lors, les camerounais vivent un conflit interne latent où le bien-être des populations est compromis. Tout effort de développement durable est anéantissant. Dans un tel climat précaire ajouté aux tensions politiques et tribales, on ne vit plus; on survit en espérant qu’une entité pourra nous faire sortir de cette impasse.
Même si l’UN s’attelle à garantir le respect des droits de l’homme et la protection des déplacés du NOSO*, il faut reconnaître que son implication reste difficilement perceptible par le citoyen lambda. Il suffit de faire une enquête de satisfaction pour se rendre compte que peu de personnes savent de quoi il est question. Ainsi, lors des échanges autour des bières ou dans un taxi, ne soyez pas surpris de ce que vous pourriez apprendre. J’avais appris que les USA via les NU alimentent le conflit pour assurer le contrôle total de la zone anglophone qui présente un potentiel géostratégique non négligeable (vous vous dites certainement «les commentaires du bar » et je vous dis que c’est dans les bars que la vérité finit par sortir au Cameroun).
Crise Anglophone : Pour une implication pragmatique de l’ONU
On peut épiloguer sur les différentes actions menées par l’ONU pour la résolution pacifique de la crise anglophone. Mais une chose est certaine : la discrétion qu’impose les uses diplomatiques et les appels au dialogue ou à l’ouverture d’enquêtes, ne semblent pas contribuer au rétablissement de la paix. Au contraire, avec la multiplication des fake news et la prolifération des théories du complot contre l’Afrique, on assiste à un désamour graduel des populations vis-à-vis de la plus grande instance mondiale. Ceci étant exploité par ceux-là qui ont tout intérêt à ne pas être mis au-devant des faits qui les accablent.
Car, après une expérience de 75 ans dans la résolution des conflits, on s’étonne de la difficulté à régler définitivement les conflits en Afrique. L’intégration du mode de fonctionnement onusien dans la stratégie des différents acteurs peut justifier cette permanence des conflits. En plus, le système de couloirs et antichambres de lobbying pour gagner en temps et en ressources ne crédibilise pas. Il fait croire à l’inaction de l’ONU ou à un silence complice face aux abus et exactions observés. A cet effet, la nécessité de reconfigurer une nouvelle approche structurelle de résolutions des conflits s’impose. Il s’agit ainsi de rétablir un rapport de confiance entre les peuples et les NU.

Quel ONU pour les générations présentes et futures ?
Certains experts fustigent l’intervention étrangère dans la gestion des différends internes. Mais il faut reconnaître que pour le cas de la crise Anglophone, l’intervention de l’ONU est nécessaire. Elle est une des voies les plus fiables de sorties de crise dans un contexte de déclin de confiance vis à vis des institutions publiques. En effet, les populations peinent de plus en plus à souscrire aux initiatives étatiques. Pourtant l’Etat fournit des efforts pour résoudre le conflit. C’est donc dans de telles circonstances que le rôle de l’ONU prend tout son sens aux yeux de la population.
Il ne s’agit pas de prôner l’ingérence dans les affaires internes d’un Etat, mais plutôt de promouvoir un dialogue inclusif franc; tout en posant des actions directes pour l’évaluation et le suivi des reformes socio-politiques, constitutionnelles et judiciaires. En outre, il s’agit également de veiller au respect des droits de l’homme et à la promotion du développement durable.
Par ailleurs, pour que l’ONU joue son rôle efficacement en Afrique, il est important de revoir la configuration du Conseil de Sécurité. En d’autres termes, le sort d’une famille au Lebialem ne devrait plus dépendre d’un groupe de personnes assis au siège des Nations Unies à New York, usant de leur droit de veto en fonction des intérêts et aspirations des Etats qu’ils représentent. La structuration actuelle du Conseil de Sécurité perpétue l’émergence des symptômes de la guerre froide. Toutefois, il ne s’agit pas de deux blocs qui s’affrontent; mais des blocs éclatés, animés par des intérêts disparates, usent des réseaux de lobby pour des besoins individualistes. Ceci ne favorise pas l’implication de tous les Etats dans la prise de décision pour le maintien de la paix de manière objective et pérenne, conformément à l’article 2 de la charte fondatrice.
Agenda 2063
Pour un meilleur règlement des conflits présents et futurs, il serait intéressant d’impliquer directement des acteurs locaux et régionaux dans les mécanismes de prises de décision. Ainsi, les populations (sociétés civiles, syndicats, entrepreneurs, scientifiques de tous bords etc…) doivent être impliquées dans le système de fonctionnement pour qu’ensemble, ils bâtissent le monde idéalement pensé à la création de l’organisation. 75 ans après, pour la réalisation des objectifs du développement durable, les enjeux technologiques, climatiques, sanitaires et les inégalités sociales imposent à l’ONU de reconfigurer un cadre de coopération internationale auquel tous les peuples pourront croire, s’identifier et participer activement. Apres tout, si elle continue à exister, c’est parce que nous continuons à croire à son rôle dans le monde.
* Plusieurs agences humanitaires au Cameroun ont reçu une aide du Fonds central d’intervention d’urgence des Nations Unies (CERF) de 8,7 millions de dollars pour aider plus de 200.000 personnes dans les deux régions anglophones camerounaises en 2020, cf https://news.un.org/fr/story/2020/02/1062001
** Au Cameroun, les bars et dans les taxis interurbains sont les endroits les mieux indiqués pour avoir la revue de l’actualité socio politique décortiquée et analysée au peigne fin avec une forte dose de suspense pimentée par des ingrédients que seuls les camerounais ont le secret.
5 Comments
Unknown
En fait pour moi l'ONU n'est qu'une institution qui assure les intérêts de quelques puissances, sinon qu'est-ce-qui explique logiquement et objectivement un droit de veto dans une institution qui se veut garant des libertés individuelles ,des droits et de la paix internationale !!
Depuis 2016 il y'a eu des milliers de morts et déplacés dans le Noso, qu'ont-ils fait de concret? Si oui où sont les résultats ?
L'état n'a pu rien faire d'efficace,si oui de satisfaisant puisque c'est pas fini!!
Moi je dis que l'état à la maîtrise totale de son territoire, il n'y a pas de non maîtrise qui soit, le Cameroun n'a aucune zone qu'on puisse appeler no man's Land. Donc si jusqu'à aujourd'hui rien n'a été fait, cela signifie que L'Etat est le complice de L'ONU puisque seul nous pouvions gérer. Mais l'ONU est venu et jusque là le problème n'est pas résolu, ça signifie qu'il y'a problème caché
Unknown
Je n'ai jamais considéré l'ONU comme une institution salvatrice puisque dans tous les pays où il y'a eu menace de la paix et qu'elle est intervenue, la paix n'est réellement pas revenue, si oui de manière partielle et partiale. Tant que les gouroux des nations unies trouvent leur compte, ils agiront, sinon ils s'en foutent
TCHENGANG TCHIENGUE
Merci pour votre commentaire qui confirme ce que nous camerounais, n'avons pas une perception claire de l'action des Nations Unies dans la résolution du conflit. Les actions perceptibles de l'organisation dans la crise sont le soutien humanitaires, la protection des refugiés, les aides pour l'insertion socio-économiques des déplacés.
Votre commentaire pertinent rappelle qu'il y a encore fort à faire pour résoudre la crise du NoSo tant de la part de l'Etat que de l'ONU.
TCHENGANG TCHIENGUE
Selon vous, comment faire alors pour qu'elle puisse contribuer efficacement et effectivement au rétablissement de la paix dans les conflits?
Natehalalooli
tehnoreiting.ru