Les manifestations Pro-Trump à Washington le 6 janvier offre l’opportunité de réévaluer la démocratie et de la gouvernance en Afrique.
Jusqu’aux dernières heures de son mandat, Donald Trump a fortement marqué la politique des USA. Il a surtout le mérite d’avoir inconsciemment déconstruit la perception de la démocratie américaine considérée comme étant la plus aboutie du monde. Malgré les initiatives de destitution (impeachment) du congrès suite aux manifestations des Pro-Trump au Capitole à Washington, le monde redécouvre les limites d’un système politique qu’on veut longtemps imposé à l’Afrique comme prérequis du développement. Ce qui se passe aux USA ces derniers mois, offre aux africains une nouvelle grille de lecture des concepts de démocratie et de gouvernance. Nécessairement, il nous donne l’occasion de penser à élaborer un système politique qui répondra mieux à nos aspirations de bien-être, de justice et d’équité.
A peine sorti des festivités du nouvel an, l’année 2021 nous offre sa première surprise le 6 janvier. Pour une rare fois ce jour, j’entends parler de violentes manifestations liées aux contestations électorales aux USA. Pour une fois il ne s’agit pas d’un pays africain à qui on fait vite d’imposer l’ordre d’un retour au calme dans de très brefs délais. J’avoue que ce jour, j’ai souhaité voir un tweet de notre président de la république, intimant l’ordre aux autorités américaines d’assurer la stabilité tout en appelant nos ressortissants à rester calme.
En effet, ces évènements sont inédits surtout pour une superpuissance telle que les USA dont le modèle de gouvernance tant vanté, basé sur la démocratie absolue est vieille de plus de 240 ans. Ne croyez pas que je me réjouis des circonstances du Capitole du 6 janvier. Loin de là! Je préfère laisser cette sensation aux fervents défenseurs de l’autocratie masquée par des élections manipulées, des institutions étatiques et des oppositions fabriquées à la guise du suprême et charitable leader. Je les imagine dorénavant brandir l’argument de ces manifestations de Washington pour corroborer les imperfections des systèmes politiques africains dans le but de justifier la recrudescence des contestations post-électoraux et l’usage abusif de la violence « légitime » pour rétablir l’ordre.
Les violences de Washington autrement appelé ‘l’insurrection du Capitole’, nous renseignent sur les failles de la démocratie libérale. Elles mettent en lumière les frustrations accumulées d’une partie de la population [1] dont les intérêts et les libertés peinent à être protégés par le système politique démocratique. Ceci me renvoie au contexte africain en général avec les multiples mouvements d’humeurs des populations. Et particulièrement au Cameroun qui connaît son lot de contestations au quotidien ajouté à la crise sécuritaire qui sévit.
Soyons clairs, il ne s’agit pas de différencier la démocratie au totalitarisme ou l’autocratie exercés dans certains pays de manière tropicalisée.
Terre à terre, c’est quoi la démocratie ?
En 1990, Jacques Chirac prononce cette phrase qui choquera : « L’Afrique ne serait pas prête pour la démocratie !». 31 ans plus tard, cette assertion continue de résonner et garde sa pertinence au vu de ce qui se passe en Afrique. Cependant, de quelle démocratie s’agit il en réalité ?
Venant des mots grecs dêmos (peuple) et kratos (pouvoir), la démocratie se veut être un régime politique où le peuple détient le pouvoir absolu. Il l’exerce de manière directe ou par l’intermédiaire de ses représentants élus. Montesquieu l’assimile à un régime où le peuple dans sa totalité exerce sa puissance souveraine étant « monarque et sujet » à la fois [2]. Durant mes premières années de fac, je croyais tout naïvement à la définition simpliste de la démocratie attribuée au célèbre président américain Abraham Lincoln « le gouvernement du peuple par le peuple ». Cette simple phrase à elle seule suffit à priori pour expliquer la démocratie américaine. L’histoire l’a présente comme la plus libérale et attribut le rôle aux USA de son garant ultime et défenseur dans le monde depuis le 2e Guerre Mondiale.
La Démocratie contemporaine : la tyrannie de la majorité représentée par une minorité contre la minorité
En réalité, la démocratie contemporaine révèle une facette différente de ce qui est présentée théoriquement : A l’exception de la Suisse, aucun pays (ou très peu) au monde applique les principes de la démocratie telle que pensée dans le Grèce Antique [3]. La notion de représentativité assurée par des élus est celle qui est adoptée dans la plupart d’Etats contemporains. La gestion de la cité est assurée par une fraction de personnes ‘supposée’ être désignée librement par le peuple qui décide de lui octroyer une partie de sa souveraineté. Il se réserve le droit en théorie de changer de représentants si ceux ci ne joue pas leur rôle comme il se doit.
Cependant, cette concentration de pouvoirs entre les mains de représentants élus fonde ce qu’Alexis de Tocqueville appelle « la tyrannie de la majorité »[4]. Selon lui, elle nuit fortement à la conduite efficace des affaires publiques. Pour faire simple, pour Tocqueville, si on reconnaît qu’un individu en abusant de son statut de président, est une menace pour l’intérêt de tous, on devrait aussi reconnaître que les représentants (un ensemble d’individus ayant des intérêts parfois contraires) de la majorité en décidant de ce qui est bien ou mal, peuvent être une menace pour la minorité ou pour l’ensemble.
Choix de la majorité : Dictateurs d’intérêts !
En effet dans les faits, la notion de majorité représentée est à relativiser. Surtout quand on observe la crise de confiance et le climat de défiance existant entre les gouvernants et les gouvernés en Afrique. La volonté individualiste des gouvernants va le plus souvent à l’encontre de l’intérêt général. Pour s’assurer de rester au pouvoir tout en perpétuant l’illusion de l’alternance, la classe dirigeante peut effectuer des alliances avec des acteurs. Ceux ci parfois bénéficient un capital sympathie au sein de la population mais partagent implicitement les mêmes intérêts que les dirigeants. Dés lors, la théâtralisation de leurs confrontations idéologiques de façade consiste à nourrir le sentiment de souveraineté des électeurs.
Dans ce contexte, la participation populaire est le plus souvent sollicitée pour trancher et légitimer le choix d’intérêts de la classe dirigeante. En d’autres termes, il s’agit de choisir ce qui vous est présenté et non de choisir ce qui est l’idéal pour vous. Aussi longtemps que vos intérêts font parties de ceux de la minorité, ils ne seront pas pris en compte. Si vous faites partie de la majorité, il faudra que vos besoins soient similaires à ceux de vos représentants. en gros, ce qui compte dans la démocratie, c’est ce que les élus définissent comme tel. C’est pourquoi, avec le temps la démocratie soulève des frustrations qui engendrent l’abstentionnisme grandissant, la défiance et la crise de confiance vis-à-vis du politique et des institutions.
Est-ce pour autant que la démocratie ne devrait pas être appliquée en Afrique ?
La démocratie revêt plusieurs formes structurelles en fonction de l’aire géographique et de la culture. La démocratie américaine est différente de celle exercée en Angleterre, en France, en Israël ou au Japon. A mon avis, c’est là que se trouve la solution à la problématique de démocratie et de gouvernance en Afrique. Entendue comme la préservation et la promotion des intérêts et du bien-être de TOUS, la démocratie devrait se défaire des considérations politiques pour revêtir une forte dynamique socioéconomique et culturelle répondant aux besoins non pas de la majorité mais de tout l’ensemble.
Pour une démocratie africaine ; Pourquoi pas ?
L’implémentation d’un système politique peine à marcher et provoque la multiplication de crises politiques et des coup-d’états malgré le vent de démocratisation imposé qui a soufflé dans plusieurs pays africains après le sommet de la Baule en 1990. Cependant, avec ce qui s’est passé le 6 janvier 2021, il ne faudrait pas croire que la démocratie libérale des USA est un échec. Au contraire, on a beaucoup à apprendre d’elle pour façonner un modèle propre à nos réalités psychologiques et culturels. La promotion des libertés publiques, la participation populaire et la multipolarité des centres de prise de décisions sont des exemples à copier.
Ce qu’on nous dit très peu c’est que la démocratie existe déjà en Afrique avant la colonisation et l’importation des éléments tels que les partis politiques, les campagnes électorales et le lobbying. Dans ces communautés, le pouvoir du chef fondé sur les principes de justice, d’équité et de paix, découlait du peuple. Le chef est entouré de conseillers ( notables) qui ont le pouvoir des chefs de cantons ou de familles et dont le rôle est d’accorder l’intérêt clanique à l’intérêt collectif. A cette époque, les affaires publiques se débattent à l’arbre à palabre ou dans la cour royale avec l’implication des populations ou de leurs représentants.
L’anthropologue Nic Cheeseman atteste dans un de ses essais [5] que le modèle de l’autoritarisme africain observé aujourd’hui, découle de la colonisation et non d’un héritage traditionnel. Le système politique postcolonial est démocratique uniquement de nom. Il a pour but d’exploiter les ressources plutôt que de promouvoir l’autonomisation les citoyens des jeunes Etats africains.
Tous pour un, un pour tous !
Plus de 60 ans après les indépendances, nombreux sont les africains à réclamer de plus en plus de libertés. Ils aspirent à un système de gouvernance qui favorise la promotion et la préservation de leurs intérêts. Selon un sondage effectué par Afrobaromètre, dans 34 pays en 2019, 68% des sondés déclarent vouloir vivre dans des sociétés ouvertes et libres[6]
Il y’a nécessité de configurer un modèle démocratique qui protège les intérêts de tous de manière équitable. Dans ce sens, il ne s’agit pas de prévaloir la majorité au détriment de la minorité. Mais de rechercher ce qui est l’idéal. Car, ce n’est pas la majorité qui rend juste une loi mais les principes qui soutiennent cette loi.
« […] la majorité elle-même n’est pas toute-puissante. Au-dessus d’elle, dans le monde moral, se trouvent l’humanité, la justice et la raison ; dans le monde politique, les droits acquis.»
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 1, Paris, Éditions Flammarion, 1981 à la p. 518
Je vais plus loin que Barack Obama qui dit au Ghana en 2010 : « L’Afrique, au lieu d’avoir des hommes forts, doit avoir des institutions fortes»; Certes les pays africains ont besoin des institutions indépendantes, fortes et stables, mais celles-ci doivent se constituer d’hommes forts animés de bonne volonté pour diriger les populations vers les idéaux de valeur. Car au final la démocratie n’est pas dans les institutions mais dans les hommes [7].
Hommage à Ernest Ouandié – Patrick Lumumba – Thomas Sankara
[1]Cette partie de la population est considérée minoritaire si on tient compte du fait que les accusations de fraude à l’endroit du nouveau président Joe Biden, ont été rejetées.
[2]Montesquieu, De l’Esprit des Lois, Livre III, 1748
[3]D’ailleurs même en Grèce Antique, considérée comme le berceau de la démocratie, les affaires de la vie politique étaient réglées au sein des assemblées athéniennes d’environ 6000 personnes pour des communautés qui en comptaient plus de 30 000 – 40 000 âmes. L’histoire anthropologique d’autres civilisations et notamment des royaumes et tribus africaines, montre que la démocratie (ou du moins l’esprit qui anime les pratiques démocratiques) existe depuis fort longtemps.
[4]Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835
[5]Nic Cheeseman, Democracy in Africa : successes, failures and the struggle for political reform Cambridge University Press, 2015
[7]Georges Burdeau, cité dans https://journals.openedition.org/ethiquepublique/679