Quelques raisons pouvant expliquer les stades vides durant la CAN 2021 se déroulant au Cameroun.
la réalité des stades presque vides de ces jours contraste avec les prévisions du match d’ouverture. Pourtant, qui n’a pas été séduit par l’ouverture de la 33e Coupe d’Afrique des Nations de Football à Yaoundé ? En tout cas, presque tout le monde sur les réseaux sociaux a apprécié cette ouverture tonitruante marquée par la présence 3D de l’homme lion. “Magnifique” est le mot qui décrit ce qui s’est passé le 09 janvier au stade Olembé ; devant plus de 50.000 spectateurs et de millions de téléspectateurs. Il présageait une «CAN sucrée» surtout pour les camerounais, fans indéfectibles de football qui accueillent cet évènement depuis plus de 40 ans d’attente.
En effet, après la 1e journée des matchs, le constat est amer et la question ne tarde pas à être soulevée par les médias et les internautes : Pourquoi les stades sont vides au Cameroun ? A cette interrogation, plusieurs grilles d’analyse peuvent être mobilisées. A cet effet, la publication sur Facebook[1] de mon frère et camarade Siméon Roland Ekodo Mveng est assez explicative de ce qui se passe :
La désertion des stades au Cameroun en ces débuts de CAN TotalEnergies 2021 peut être analysée à partir d’une chaîne de causalités conjoncturelle, structurelle et sociopolitique.
Les anti-vax gagnent du terrain au Cameroun
La raison immédiate est une résistance symbolique des vaccino-sceptiques vis-à-vis de l’exigence du pass anti-covid à l’entrée des stades. Les supporters majoritairement contre le vaccin perçoivent cette mesure comme une instrumentalisation du football à des fins de traçage biomédical et de contrôle spirituel selon les suspicions et susceptibilités complotistes qu’ils expriment clairement dans le boycott du vaccin.
Une étude d’un média international a d’ailleurs révélé récemment que seule 4 pour cent de la population camerounaise serait vaccinée et que le pays porte l’étendard des États les plus abstentionnistes aux injections.
[En effet, depuis la découverte des premiers vaccins contre de la pandémie Covid-19, il est observé une forte résistance des populations vis-à-vis de la vaccination. La rigueur des exigences sanitaires adoptées par la CAF pour limiter la propagation du Covid-19, n’améliore pas la situation visiblement. La réticence aux vaccins s’explique en partie par la prolifération des fake news sur les réseaux sociaux tendant à justifier les théories de complot. A la veille de la CAN 2021, la couverture vaccinale est estimée à 6%. Toutefois, pour déconstruire les fausses idées reçues, plusieurs campagnes de sensibilisation sont faites online et offline. Vivement que ce booste communicationnel impacte positivement le déroulement du plus grand évènement sportif de l’Afrique.]
Les billets coutent chers pour le Camerounais moyen
La deuxième raison qui explique l’absence du public dans les gradins est le faible pouvoir d’achat du consommateur des produits sportifs. La rationalité voudrait que ce dernier minimise les coûts de déplacement et d’achat d’un ticket aux virages ou aux tribunes lors des matchs non enlevés et opte pour le visionnement confortable à la télé, ou même des temps forts au journal du soir, pour ceux des débrouillards qui ne peuvent abandonner le champ, les études ou le petit commerce, dans un contexte de double frilosité sanitaire et sécuritaire.
[Les billets sont vendus en fonction de catégories qui se caractérisent par la position de la place assise au stade. Dans ce sens, pour le premier tour, les billets coutent entre 3 000 et 8 000 F CFA. Ces prix augmenteront au fur et à mesure que la compétition évolue. En finale, par exemple les billets couteront entre 7000 et 20.000 FCFA. Faudrait-il encore préciser que les billets des matchs des Lions Indomptables coutent plus chers que les autres matchs ?!]
La faible professionnalisation du mouvement sportif camerounais.
La troisième explication est imputable à la faible professionnalisation du mouvement sportif camerounais. La mort des fans clubs, la non sélection des joueurs locaux dans l’équipe séniore, le caractère insipide du championnat, la crise des talents, les interminables conflits et scandales de la Fecafoot ou finalement l’extraversion des supporters aux idoles mondiales comme Messi,CR7,et leur dépendance ludique aux championnats européens plus attractifs ont fini par construire l’étrangeté et la désaffection du public de supporters avec les stades du pays.
[On ne le mentionne pas très souvent, mais c’est un élément explicatif très important : Il est lointain les souvenirs de la ferveur populaire lors de matchs de football entre le Canon Sportif de Yaoundé et Tonnerre. Cela fait des lustres que le championnat local n’intéresse plus les populations. Les problèmes à répétition au sein des clubs de football et surtout au sein de l’instance faitière du football au Cameroun a aussi contribué à cet état. Ces crises accompagnées d’une mauvaise organisation du football local a eu pour conséquence directe une crise de nouveaux talents pouvant lever des foules à l’instar de Roger Milla, Théophile Abega ou Samuel Eto’o, etc. Espérons que ce dernier à la tête de la FECAFOOT pourra travailler à renverser la tendance.]
Après le boycott des élections, survient le boycott de la CAN 2021 ?
Une autre raison est éminemment politique. Le refus de se rendre au stade est une résistance idéologique contre l’ordre gouvernant. Ceux qui se considèrent comme exclus du partage des richesses estiment que le football est une diversion et une drogue populaire pour maintenir les intérêts dominants.
Une autre opinion estime que ce serait faire montre, d’un manque de loyauté aux prisonniers politiques et aux frères et sœurs anglophones en allant participer à un festin cynique organisé par ceux qui tirent profit du système. D’où leur retrait tactique de ce qui aurait dû être une grande fête populaire en d’autres circonstances.
[Il faut reconnaître qu’organiser la CAN 2021 dans un tel contexte, divise l’opinion publique camerounaise. Toutefois, j’ose croire qu’organiser un tel évènement sportif fait partie d’un agenda politique qui date de plus longtemps que l’émergence des multiples crises qui minent le pays actuellement. Vu sous cet angle, un bras tendu du gouvernement vers « ses opposants » aurait pu contribuer à rendre la fête plus belle. Peut-être, en place des coups de feu près du stade de Buea[2], on aurait pu voir des frustrés/résistants d’hier se mobiliser pour accueillir les étrangers de la meilleure des façons à coup de trompettes et de vuvuzela.]
La sécurité avant tout…
Un dernier enjeu de cet abandon des stades est d’ordre sécuritaire. La psychose créée par les attaques terroristes au grand Nord et par une infiltration potentielle des stades par les ambazoniens sont des éléments de dissuasion du public.
Quelles propositions pour « une CAN [plus] sucrée »
Pour ramener les gens au stade, il faudra après la CAN profiter de la nouveauté des infrastructures et de la capacité de mobilisation des ressources humaines et financières du nouvel exécutif fédéral Samuel Éto’o pour industrialiser cette filière. (Suivant les résolutions des États généraux).
Il faudra régler les crises politiques et sécuritaires.
Il faudra partager les richesses par la création d’emplois et parier que la transition du citoyen-supporter des besoins fondamentaux, aux besoins de prestige l’incitera de nouveau au divertissement footbalistique. Les mécènes, communes et opérateurs de sociétés peuvent également subventionner les billets d’accès aux stades.
Aussi, il faudra fixer les quotas d’un nombre de joueurs locaux pour que le public s’identifie aux acteurs de jeu, moins arrogants que ces légions étrangères imbues de leurs milliards et venant parfois jouer la suffisance sans tenir compte des sacrifices des supporters.
[Au niveau de la CAF, il serait de bon ton que les autorités s’accordent sur l’assouplissement des conditions d’accès aux stades. L’expérience de la CHAN ou de l’Euro nous enseigne qu’il est possible de se limiter au test anticovid pour limiter la propagation du virus durant les matchs.]
Il faut finalement réconcilier le Cameroun avec lui-même.
La CAN est d’ailleurs un bon prétexte de communion fraternelle, de sportization et de dégel des tensions et des aigreurs si l’on s’en tient aux vertus de la civilisation des mœurs par le sport élaborées par Norbert Élias et Eric Dunning.
[1]https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=5361685583860829&id=100000583201243
[2]https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220112-cameroun-incidents-en-marge-de-la-can-%C3%A0-limbe
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