Je me souviens comme si c’était hier de l’assassinat de Muammar Kadhafi comme un vulgaire chien. Il avait été capturé, lynché et exécuté par de supposés citoyens. Je me rappelle de la manière avec laquelle certains chefs d’état des pays dits démocratiques avaient célébré la mort du tyran. Ils s’étaient empressés de proclamer la fin du règne de la terreur et le début de la liberté pour le peuple libyen.
Bilan du règne de terreur
Avant “le soulèvement populaire” qui a conduit à l’assassinat du Guide, la Libye était un pays prospère à bien des égards, qui n’avait rien à envier aux puissances mondiales. En effet, dans les années 2000, la Libye dispose du PIB le plus haut par habitant en Afrique du fait de ses importantes rentes pétrolières. Tandis que la dette publique française s’élevait à 88 % de son PIB en 2011, celle de la Libye avoisine 3,3% de son PIB. L’éducation, l’électricité, l’eau étaient gratuites pour les Libyens. Le carburant ne coûtait presque rien et les impôts étaient presque inexistants tout comme la TVA. Les voitures importées du Japon, de la Corée du Sud, de la Chine et des USA étaient vendues au prix d’usine. Pour ceux des citoyens qui souhaitaient faire des études universitaires, l’Etat se chargeait de leur accorder de bourses d’études pour se former aux USA. Le but étant de contribuer à moderniser et à développer l’économie nationale. Par ailleurs, la main d’œuvre étrangère était la bienvenue dans tous les secteurs d’activité.
« On estimait à la fin de la décennie 2000 que 40 à 50 % de la population active était étrangère»
Le rôle de Kadhafi dans la zone Saharo-sahélienne
Au début de la première décennie 2000, plusieurs chefs d’état africains louaient le rôle actif du Colonel Kadhafi pour limiter le terrorisme et le trafic illicite d’armes dans l’espace Saharo-sahélien. À cet effet, lors d’un entretien avec Alain Foka sur RFI, le feu président Idriss Deby attestait que la crise sécuritaire actuelle qui touchent plusieurs pays, est née suite à la mort du Guide libyen. De même, depuis que la Libye est devenue un champ de guerre, on constate une hausse vertigineuse de migrants africains en Europe. En effet, le 22 février 2011, le gouvernement italien faisait un état de risque d’un afflux soudain de 200 000 à 300 000 migrants sur le territoire européen. D’ailleurs en fin novembre 2011, un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OMI) atteste que près de 800.000 migrants ont fui la Libye vers les pays voisins[1].
L’amoureux de l’unité panafricaine ?
Quel africain n’a pas eu ce privilège d’espérer voir se réaliser ce rêve panafricain d’un satellite 100% régional (RASCOM[2]) ? Cela a été possible sous l’impulsion du colonel Kadhafi qui avait pour ambition de restaurer à l’Afrique toute sa grandeur et sa souveraineté. D’ailleurs, cette dernière doit s’opérer également par un affranchissement financier et monétaire des pays africains, notamment de la zone Franc CFA. C’est dans ce but que le Guide libyen proposa à ses confrères de créer le Fond Monétaire Africain avec siège régional à Yaoundé et une Banque centrale Africaine avec Abuja comme siège.
Voilà le bilan d’un leader africain, taxé de dictateur sanguinaire, despote psychopathe. Est-ce pour ces raisons que Muammar Kadhafi suscitait autant de haine auprès des leaders occidentaux ? À tort ou à raison, le temps, juge de l’histoire nous donne son verdict chaque jour qui passe
Cependant, une question demeure : voulait-il réellement l’émancipation de toute l’Afrique par l’unité ou avait-il simplement des folies de grandeurs durant lesquelles il se voyait diriger à lui seul tout un continent ?
Kadhafi leader africain convaincu ou despote rêveur ?
Il faut être naïf pour croire que Muammar Kadhafi était un saint qui ne voulait que le bien des Africains. Il a eu son lot de dérives, d’exactions et d’écarts. Il a soutenu sur le continent plusieurs coups d’état. Il est tenu principal responsable de la disparition de milliers de personnes de manière arbitraire et brutale. On peut dresser une liste exhaustive de faits qui ternissent son bilan presque élogieux. Au moins à lui, on ne peut pas lui reprocher de n’avoir rien fait pour son pays et pour son continent en 42 ans de pouvoir. Contrairement à certains chefs d’état africains qui s’éternisent à la tête des pays où la situation va de mal en pire, « le père de la révolution libyenne » a su marqué significativement la rupture.
Toutefois, il est difficile d’affirmer qu’il incarne le leader qu’il faut pour l’Afrique. Il s’est caractérisé par des ambitions controversées tout au long de sa vie. Son bilan est-il le résultat des circonstances fortuites qui ont contribué à le rapprocher de son rêve d’être au sommet d’une nation arabe ou africaine ? Où était-il convaincu de la nécessité pour les peuples oppressés de se libérer du joug impériale ? Pour avoir une réponse claire, il aurait peut-être fallu que son projet arrive à terme. Néanmoins, sa vie ou du moins sa mort devrait nous enseigner en tant qu’africain.
Quelles leçons retenir du colonel Kadhafi ?
On existe tous pour un but, à chacun de découvrir le sien et de l’accomplir. Si le but de l’existence de Muʿammar al-Qaḏāfy n’était pas d’unir l’Afrique ou de mener la Libye sur le chemin d’un développement durable, son but est de nous donner des leçons capitales :
- La croissance économique ne garantit pas le développement d’une population ou d’une nation. Le développement se définit à mon sens comme étant une progression significative d’une collectivité sur le plan psychologique et intellectuel (éducation), sur le plan socio-économique, politique et culturel pour le plein épanouissement de celle-ci. Le développement se réfère à la création d’un environnement serein dans lequel les populations peuvent déployer leur plein potentiel de façon productive dans le but de satisfaire leurs besoins et ceux de leur communauté. Dans notre cas, la Libye était sur la voie de la croissance économique, mais est ce que les Libyens dans la majorité étaient dans le processus de développement malgré toutes les facilités créées par Muammar Kadhafi ? Je doute fort.
- La bonne gouvernance reste une garantie de stabilité et pérennisation des acquis économiques, sociaux et culturels. L’alternance au pouvoir, la séparation et la décentralisation des pouvoirs, une grande participation citoyenne aux affaires publiques sont autant d’éléments qui contribuent au progrès d’un État. Aucun pouvoir centralisé ne peut durer dans le temps. Même si je pense que c’est aux hommes forts de bâtir des institutions fortes, ces dernières restent le socle de la stabilité d’un Etat.
- Le projet de l’Unité africaine ne se fera pas sans vives résistances de l’extérieur. Pour qu’il réussisse, il doit être partagé par tous. En outre, il demande un sacrifice énorme de la part des Africains. La liberté ou la souveraineté ne se négocient pas lors des conférences, des forums ou des sommets. Elles s’imposent fermement par des actions concrètes non pas de défiance, mais d’intelligence stratégique.
- Le véritable pouvoir reste aux mains des peuples aussi vulnérables soient-ils. C’est le peuple qui élève ou descend son leader. C’est aussi le peuple qui définit l’avenir d’un pays. Pour l’Afrique, il faut un peuple suffisamment éveillé pour déterminer ce qu’il y a de mieux pour lui. S’il ne le fait pas, il continuera de se faire manipuler à tout vent par tous. C’est pour cela que l’éducation reste l’un des puissants vecteurs du salut de nos Etats africains.
- Sur la scène internationale, il n’y a pas d’amis, mais uniquement des intérêts. Dès qu’ils sont menacés, tous les moyens sont bons pour anéantir “l’ami”. Les relations internationales sont à l’image des rapports interpersonnels entre étrangers. La géopolitique africaine devrait intégrer cet aspect fort révélateur.
[1] https://www.fidh.org/IMG/pdf/libyemignantsfr-ld.pdf
[2] Regional African Satellite Communication